Depuis l’époque néolithique, l’humanité s’est développée sur toute la planète en conquérant toutes les terres et mers en exploitant toutes les ressources. « Toujours plus ! » a été le mot d’ordre décliné en une multitude de variations « plus loin », « plus vite », « plus de production », « plus de croissance », « plus de naissances », « plus de machines ».
« Plus de tout » a été et est encore le credo de l’humanité pour vaincre ses fléaux comme la misère, le froid ou la sécheresse.
Jusqu’à récemment, il y a toujours eu de nouveaux territoires à conquérir et de nouvelles ressources à exploiter mais là, on arrive au bout de la terre. Elle est pleine et elle s’épuise. Les ressources non renouvelables se tarissent, les ressources renouvelables, comme les forêts et les poissons, ne parviennent plus à se renouveler, l’atmosphère est saturée de gaz à effet de serre entraînant un inquiétant réchauffement climatique et la biodiversité disparaît à toute vitesse.
« Toujours plus ! » arrive à son terme. L’humanité doit, à présent, apprendre à vivre durablement sur la seule terre qu’elle a. Son nouveau credo pourrait devenir « Pour longtemps ! ». C’est une nouvelle perspective de vie ! Là où nous exploitons la terre, nous devons prélever avec parcimonie, là où nous gaspillons, nous devons être efficace ; là où nous dilapidons, nous devons économiser, là où nous rejetons nos déchets, nous devons réutiliser ou recycler et, à défaut, pénaliser les dégâts de la pollution.
C’est faire l’inverse de ce que l’humanité fait depuis 15.000 ans ! « Tout simplement ». C’est un chantier énorme ! C’est notre intérêt et surtout, c’est notre devoir moral vis-à-vis de nos enfants et des générations futures. C’est d’ailleurs ce que la jeunesse nous réclame tous les jeudis en manifestant pour son droit à vivre sur une terre accueillante. Je voudrais lui proposer ici quelques idées qui me semblent favorables à la transition écologique mais qui me semblent aussi remettre fondamentalement en cause notre mode de vie. L’enjeu sociétal me paraît si énorme qu’il me semble souhaitable d’avoir un débat démocratique le plus large possible.
Prélever les ressources avec parcimonie pour qu’elles durent longtemps impliquera nécessairement, tôt ou tard, de mettre en place des mesures de contingentement permettant de les préserver et de produire moins de déchets. Des politiques de ce type, comme les quotas de pêche, sont déjà appliquées et montrent leur efficacité. Il faudra les généraliser pour favoriser la durabilité. Puis, il faudra attribuer ces contingents. Qui aura quel droit sur quelle quantité ? Laissera-t-on les lois du marché décider ? Autrement dit, ceux qui paieront plus auront-ils plus de droits que les autres ? Grave question !
Heureusement, des réponses existent. A ce stade de ma réflexion, je distingue cinq types de mécanismes d’attribution de contingents allant du mécanisme visant l’équité sociale au mécanisme visant l’efficacité économique :
- Des mécanismes distributifs dans lesquels tout ou partie des contingents sont attribués sur une base équitable ou égalitaire. Ce fut le cas des tickets de rationnement pendant la seconde guerre mondiale, c’est aussi le cas de la proposition faite par Alain Wolwertz d’attribuer un crédit d’émissions de CO2 pour chaque citoyen[1].
- Des mécanismes redistributifs comme l’exploitation en coopération d’une ressource limitée par une communauté avec une redistribution interne des revenus entre les coopérateurs. Cette méthode est déjà appliquée pour l’exploitation de zones de pêches au Japon. Dans ce mécanisme, tous les exploitants sont solidaires.
- Des mécanismes incitatifs par lesquels l’autorité publique octroie des primes pour que les bénéficiaires s’abstiennent d’exploiter une ressource en vue de la préserver. Il s’agit ici d’atteindre un objectif de non-production. Ce mécanisme est déjà appliqué au gel de terres, à la réservation de certains territoires présentant un intérêt écologique, à la plantation de haies, d’arbres, etc.
- Des mécanismes compétitifs qui reposent sur la logique de marché, tels que la mise aux enchères de quotas, système par lequel celui qui débourse le montant la plus élevé se voit attribuer un quota de ressources. Cette technique est déjà utilisée aujourd’hui pour l’attribution de quotas de CO2 aux secteurs industriels et permet d’affecter la ressource aux productions à haute valeur ajoutée.
- Des mécanismes mixtes dans lesquels un volume de quotas est attribué sur base d’un mécanisme distributif et le surplus attribué suivant un mécanisme compétitif. Par exemple, on pourrait imaginer que chaque habitant reçoive un droit à acheter un quota de produits pétroliers et que le reste du quota soit attribué par enchère.
Augmenter notre efficacité pour que chaque unité de ressource soit utilisée au mieux de ses possibilités. En matière énergétique, cela passe par une amélioration des processus industriels et des machines pour que les usines polluent (encore) moins, que les moyens de transport consomment moins, que nos logements soient mieux isolés, que notre agriculture consomme moins d’intrants pétroliers.
Et là encore divers mécanismes peuvent être utilisés :
- Des mécanismes normatifs qui imposent le respect de certaines normes de consommation comme les normes d’isolation des immeubles déjà en vigueur aujourd’hui.
- Des mécanismes incitatifs offrant des primes ou des prêts à faible taux d’intérêt pour aider à la réalisation d’investissements économiseurs d’énergie.
- Des mécanismes répressifs qui visent à sanctionner les contrevenants à la norme.
Economiser les ressources, cesser de dilapider implique nécessairement de renoncer à affecter des ressources nobles à des activités ou des produits jugés futiles ou accessoires. Est-il indispensable de passer le week-end à Rome en avion en gaspillant du kérosène ? Est-il raisonnable de se rendre chaque jour au travail seul dans sa voiture qui pèse deux tonnes alors qu’elle brûle du diesel ? Mais comment distinguer ce qui relève de l’indispensable, du nécessaire, du superflu ou même de l’extravagant ? Quel mécanisme mettre en place pour assurer équitablement l’indispensable à chacun tout en permettant un certain superflu et en décourageant l’extravagant ? Le crédit CO2 tel qu’envisagé par M. Wolwertz est une piste de solution mais on voit mal cette solution se généraliser et devoir attribuer à chacun un crédit fer, un crédit aluminium, un crédit bois etc. A ce stade de ma réflexion, je ne vois pas mieux que le principe du mécanisme fiscal d’imposition des revenus et de redistribution déjà appliqué aujourd’hui. Moyennant certaines améliorations comme la globalisation des revenus et une meilleure progressivité du barème de l’impôt.
Réutiliser et recycler les ressources pour ne pas devoir en prélever de nouvelles. Afin d’inciter au développement de l’économie circulaire et régénérative par la réutilisation et le recyclage et, parallèlement, de décourager les prélèvements des ressources non renouvelables (pétrole, gaz, minerais, eau, air, etc.), je pense qu’il serait utile d’instaurer une taxe sur la valeur soustraite (TVS) imposée sur l’extraction et l’importation de ressources naturelles non renouvelables. Les matériaux provenant du recyclage et de la réutilisation ne seront pas soumis à la TVS. De cette manière, les ressources réutilisées ou recyclées seront structurellement avantagées par un avantage fiscal et, les services de recyclage, de reformatage et de réparation auront un avantage concurrentiel permanent. Parallèlement, à l’entrée en vigueur de la TVS, les taux de TVA et/ou le premier taux du barème d’imposition devraient être baissés. En complément, il me paraît également utile de conserver une taxe à effet dissuasif sur les déchets.
En conclusion, les grands principes (parcimonie, efficacité, réutilisation, recyclage) décrits ici sont bien connus de tous. Les mécanismes (contingentement, méthodes d’attribution des contingents, mécanismes incitatifs, normatifs, répressifs, fiscalité directe et indirecte) proposés ne sont ni neufs (mis à part la TVS), ni révolutionnaires et sont appliqués à des degrés divers depuis des décennies. L’originalité de la proposition tient en l’articulation logique des principes et des mécanismes, dans la cohérence entre les fins désirées et les moyens proposés.
Loin des propositions partielles émises dans la précipitation sans vue d’ensemble et sans cohérence, il me semble que ces propositions ci-dessus, parce qu’elles sont logiques, cohérentes, non partisanes et qu’elles respectent les principes fondateurs de notre société, à savoir la liberté, l’égalité et l’équité, sont de nature à convaincre un grand nombre de citoyens. Il me semble qu’elles pourraient contribuer à un nouveau consensus social « Pour longtemps ». Je les mets en débat.
[1] Alain WOLWERTZ, « Une carte de crédit carbone pour sauver le climat », Vers l’Avenir, 29 février 2019, p.2
Bonjour André,
la réflexion est fouillée et les pistes d’actions bien élaborées pour inverser la tendance : il y a du boulot en perspective…
cependant, tu écris « »Toujours plus » arrive à son terme », or je suis effaré d’entendre que les hominidés veulent investir une énergie scientifique considérable et des sommes d’argent faramineuses pour suppléer à la pénurie puis la faillite des ressources terrestres en se lançant à la conquête d’autres planètes, hostiles au développement de la vie jusqu’à aujourd’hui…
Comment convaincre ces conquérants expansionnistes de recentrer ici sur terre leur énergie à développer tous les aspects du plan que tu décris?
Bien à toi
philippe
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Bonjour Philippe,
Merci de ta réflexion. Je me demande quel est le pourcentage des ressources (énergétiques, matérielles, financières et humaines) utilisées par l’humanité pour ces projets. Ma perception est qu’elle est assez faible. A ce jour, je m’inquiète plus de l’aviation civile que des départs de fusée même si je me dis que l’envol d’une seule fusée doit valoir le décollage de « x » avions.
Meilleures salutations.
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Bonjour. Merci pour votre contribution conceptuelle, complexe (c’est loin d’être in gros mot) et globale à la question de savoir comment financer équitablement et de façon pro-active la transition écologique et l’exploitation des ressources. Votre approche m’aide à penser les questionnements quotidiens et mico-décisions avec lesquelless, je peux être aux prises en tant que citoyenne, consommacteur, écologiste, de classe sociale relativement favorisée etc. Comme je me retrouve dans votre aspiration à penser la chose de façon globale et décloisonnée, je vous soumets mon questionnement qui fait suite à in autre échange sur la pertinence ou non de Macron d’avoir supprimé l’impôt sur la fortune en France. J’essaie d’être clair dans ma réflexion de citoyenne lambda !
– Il me semble qu’il y a des zones qui se chevauchent. Quid par exemple des miles gagnés parce qu’un sujet voyage beaucoup pour son entreprise et les consomme à des fins privies (voir votre exemple du we à Rome) ? L’exemple des voitures de sociétés et des cartes à essence sont du même ordre.
– Autre questionnement, dans un contexte de mondialisation, comment, faire tenir ensemble votre proposition et le choix qu’on entreprises de se délocaliser vers des pays attractifs parce que moins avancées au niveau législation sociale et environementale ?
Merci à vous.
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Bonjour Marie-Frédérique, je ne vais pas me prononcer sur la question des miles gagnés par les frequent flyers, c’est une question/comportement qui ressort du choix personnel et pas du niveau politique ou collectif.
Ma proposition de taxe à la valeur soustraite vise à éviter l’accroissement des prélèvements de matières non renouvelables. Les importations de marchandises doivent être considérées comme des prélèvements de matières sur le reste du monde et sont soumis à cette taxe. En revanche, afin de rester compétitif sur le plan international, les exportations doivent faire l’objet d’une restitution de la taxe sur la valeur soustraite. Par conséquent, on égalise les conditions à la frontière. Un tel mécanisme d’égalisation aux frontières peut aussi être envisagé en matière sociale. On peut donc éviter le dumping social et environnemental en agissant aux frontières.
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bonjour,
je reviens un instant sur mon commentaire: il n’était pas ponctuel en terme d’une fusée contre « x » avions mais plutôt en terme philosophique… D’accord, la recherche et la découverte scientifique ont toujours été un moteur pour la race humaine… ayant d’ailleurs permis de dépasser l’âge des cavernes: c’est l’évolution.
Ici, d’aucun tentent à minimiser les efforts à fournir pour notre planète en insinuant que des solutions existent ailleurs et que l’homme pourrait continuer à se développer ailleurs dans l’univers quitte à avoir ‘brûlé’ toutes les ressources terrestres…
philippe clapuyt
1348 Louvain-la-Neuve
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