Durabilité écologique, soutenabilité budgétaire et stabilité politique :  le trilemme.

Paru dans Le Soir le 24 novembre 2023

Atteindre les objectifs de durabilité écologique exige des investissements et des budgets  extraordinaires. Les finances publiques sont appelées au secours mais sont contraintes par une  norme d’endettement (60% du PIB), par une concurrence fiscale et une mobilité des capitaux qui sapent les recettes fiscales alors que, dans le même temps, les dépenses publiques sont relativement incompressibles. Recettes, dépenses, dette, les trois pôles d’un triangle infernal qui contrarient le budget et l’impératif écologique et jettent le discrédit sur le politique incapable de mobiliser les financements pour relever les défis contemporains et rassurer la population sur son futur.

La durabilité écologique, la soutenabilité budgétaire et la stabilité politique forment ainsi un trilemme aux objectifs contradictoires. Les Etats-Unis tentent d’en sortir par leur Inflation Reduction Act, un vaste plan, financé par endettement public, qui vise à verdir l’économie américaine alors que l’Europe a répondu par le Green Deal cofinancé par des budgets nationaux et un endettement européen, orienté, lui aussi, vers l’adaptation de l’industrie au changement climatique.

Mais, ce Green Deal permettra-t-il d’échapper à ce trilemme ? Il ne couvre que très partiellement les besoins d’investissements écologiquement et socialement indispensables mais financièrement non rentables Les règles budgétaires auto-imposées au sein de la zone euro ne forment-elles pas une geôle qui risque de nous faire rater la bifurcation écologique et/ou d’ensevelir nos démocraties sous un vote protestataire comme les Pays-Bas le démontrent. Nombreux sont donc les économistes et politiques qui réclament des aménagements des règles en vue d’autoriser une hausse de l’endettement public, notamment via une nouvelle règle d’or verte, via des emprunts hors plafond ou des règles d’amortissement spécifiques. Même l’intransigeant gouvernement allemand, à la suite d’une récente décision de la Cour constitutionnelle nationale, se trouve confronté à son frein à l’endettement public et à l’impossibilité d’agir. Il sera amené, lui aussi, à rejeter le cadre budgétaire actuel.

Dès lors, on pourrait croire que la solution est inscrite dans les astres, que la contrainte budgétaire va sauter et, comme le préconise l’économiste B. Colmant, que l’épargne publique sera mobilisée pour financer la bifurcation socio-écologique au travers d’emprunts publics. Emprunts dont la charge serait magiquement effacée par un regain d’inflation comme le préconise O. Blanchard, l’ancien chief economist du FMI.

C’est sans doute aller un peu vite en besogne ! Il convient de prendre un temps de pause et de réfléchir. L’endettement public est-il réellement le moyen de financement le plus adéquat ? N’est-ce pas augmenter la sujétion du secteur public au secteur financier ? N’est-ce pas soumettre un objectif de bien commun à une logique financière de type marchand, le prêt à intérêt ? N’est-ce pas enclencher une redistribution inversée allant des contribuables payant l’impôt aux épargnants encaissant des intérêts ? Un transfert des moins nantis au plus nantis ? N’est-ce pas s’astreindre à rechercher une croissance économique supplémentaire pour pouvoir rembourser ces dettes ou en payer les intérêts ? Cette croissance n’exigerait-elle pas de nouvelles activités et de nouveaux prélèvements dans la nature qui ne feraient qu’aggraver les dommages déjà commis à la nature ?

L’endettement public ne me semble pas l’outil le plus adéquat pour financer le bien commun et la bifurcation socio-écologique. Seul des recettes provenant d’un impôt équitable permettraient de répondre correctement aux défis de l’heure mais la concurrence fiscale et la liberté des mouvements de capitaux ont pulvérisé les assiettes fiscales et il apparaît de plus en plus que l’impôt sur la fortune « tax-the-rich », piste souvent évoquée, n’est pas simple à mettre en place face à des structures financières opaques.

La solution ne peut être cherchée qu’au niveau européen, là où l’on peut échapper à cette concurrence fratricide entre Etats membres. A l’image des mesures d’assouplissement quantitatif prises par la BCE et le SEBC pour sauver les banques lors de la crise financière, certains proposent à présent d’instituer un mécanisme de « monnaie volontaire ». Il s’agit d’une faculté de création monétaire d’un montant limité par an qui serait exclusivement et intégralement affecté au financement des investissements socialement ou écologiquement indispensables qui n’auraient pas de rentabilité financière (aménagement du territoire, transports publics, infrastructures d’intérêt général, bâtiments publics d’intérêt social, etc.). Cette monnaie volontaire serait liquidée sous forme de subventions, via un circuit de distribution à préciser, pour financer des projets répondant aux conditions mentionnées. En parallèle à cette injection monétaire, ils proposent d’instaurer un mécanisme européen qui permettrait de contrôler et de retirer les éventuels excès de monnaie. Ce mécanisme comprendrait un volet fiscal européen qui viserait à taxer les stocks et les flux de capitaux et à taxer les prélèvements de ressources non renouvelables (les minéraux). Parallèlement, les outils de contrôle de la masse monétaire de la BCE, notamment les réserves obligatoires, seraient renforcés comme le préconise le Professeur De Grauwe.

C’est probablement dans la direction d’une action coordonnée politique monétaire – politique fiscale au niveau européen qu’il faut se diriger pour sortir du trilemme Durabilité écologique, soutenabilité budgétaire et stabilité politique. Les élections européennes constituent probablement un momentum adéquat pour mettre ce genre de propositions en débat.         

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