La «monnaie volontaire», un outil pour restaurer le bien commun.

Par Jézabel Couppey-Soubeyran[1] et Pierre Delandre[2]


Paru dans Le Soir du 22 mars 2022

Comment financer les immenses investissements européens qui seront indispensables ? La « monnaie volontaire » que pourrait dégager la BCE est une piste sérieuse à explorer.

La pandémie l’avait déjà démontré, la guerre en Ukraine le confirme, la situation de l’Union européenne, y compris de la France et de l’Allemagne, est celle d’une multi-dépendance économique, énergétique, militaire, alimentaire, médicale, informationnelle, technologique couplée à l’absence de ressources naturelles et à la désindustrialisation de ces 40 dernières années. À ces grandes faiblesses viennent s’ajouter de grands défis : la lutte contre le réchauffement climatique et la restauration de la biodiversité.

La genèse de nos faiblesses relève d’une vaste et importante question politique sur laquelle nous ne reviendrons pas ici, pour mieux nous tourner vers les moyens à déployer au plan monétaire et financier. Relever ces défis exige des États qu’ils se mobilisent à nouveau, plus encore qu’ils l’ont fait face à la crise financière de 2008 et à la pandémie. Le pourront-ils par les moyens traditionnels qui sont les leurs ? Les déficits se sont accumulés, la dette publique a augmenté et, réémergent déjà, les petites voix des politiques austéritaires pour affirmer qu’il faut restaurer les comptes publics le plus rapidement possible – sous-entendu que la population rembourse la dette à ses détenteurs. La question se pose alors de savoir comment un « État-responsable » peut s’affranchir du couperet des déficits et de la dette publique pour se donner les moyens qui lui permettent de s’engager résolument dans les investissements nécessaires aux transformations écologiques, énergétiques et sociales, si étroitement imbriquées, pour redonner l’espoir d’un avenir meilleur ? Il n’est d’autre solution que d’augmenter les ressources de la puissance publique en recourant à une hausse de la fiscalité et, à défaut, de recourir à des moyens monétaires.

La hausse de la fiscalité ne peut évidemment pas se faire sur les couches populaires et moyennes de la population, déjà confrontées à des vertigineuses hausses de prix et qui, dans un contexte de guerre, de stagnation économique, risquent de perdre leur emploi. Cette option est exclue. Tout en poursuivant de manière plus résolue la lutte contre l’évasion fiscale, il ne reste alors qu’à appliquer une fiscalité sur les hauts patrimoines et les hauts revenus ainsi qu’une fiscalité écologique socialement équitable frappant spécifiquement les consommations excessives de ressources naturelles. Et si une fiscalité réformée, ciblée sur les hauts revenus, les hauts patrimoines et les excès de consommation, devait ne pas suffire ; ce que nous croyons ; nous proposons de recourir à la « monnaie volontaire » pour financer les projets d’intérêt collectifs et non rentables que la dette de marché ne permet guère de financer même en situation de taux bas comme en témoignent les dernières décennies de faibles  investissements publics dans la transition écologique et sociale, dans les services publics, l’école, l’hôpital, l’Université, ainsi que les aides aux citoyens pour leurs investissements de transition énergétique.

D’une certaine manière, les mesures non conventionnelles mises en œuvre par les banques centrales ces dernières années pour répondre à la crise financière puis sanitaire ont ouvert la voie à cette « monnaie volontaire », à ceci près qu’elles l’ont été pour sauver le monde d’hier, celui d’un capitalisme financier écologiquement et socialement mortifère. Il reste donc à tourner le pouvoir monétaire des banques centrales vers le monde de demain et la restauration du bien commun. Pour ce faire, la banque centrale devrait être autorisée, moyennant force contrôles démocratiques et respect de conditions économiques, à financer la volonté politique par des dons monétaires ou des prêts perpétuels sans intérêt. C’est là ce que nous appelons « la monnaie volontaire« , une émission monétaire de la banque centrale, n’exigeant de son bénéficiaire ni remboursement ni titre à vendre mais uniquement l’accomplissement de l’action ainsi financée. Elle serait ainsi mise au service du bien commun, octroyant des moyens budgétaires complémentaires aux autorités publiques pour leur permettre de réaliser leur volonté politique et, le cas échéant, afin de favoriser la résilience des territoires, les dons de monnaie volontaire pourraient être convertis et libérés en monnaie régionale. La monnaie volontaire rendrait possible des plans ambitieux de réindustrialisation, de réorientation énergétique, de restauration des services publics, que les États n’engageront pas s’ils doivent pour cela continuer de s’endetter sur les marchés financiers.

La reconquête des souverainetés et les réponses aux défis contemporains exigent des solutions novatrices telles que la « monnaie volontaire« . Cette dernière exigera que l’on rétablisse une coopération plus étroite entre les autorités publiques et l’autorité monétaire, que l’on redéfinisse le rôle et l’indépendance des banques centrales et que l’on interroge la fonction d’intermédiation des marchés financiers pour le financement des actions publiques. Après tout, quel mal y aurait-il à financer des actions pour le bien commun à l’aide de moyens financiers communs ? Quel mal y aurait-il à faire bon usage du pouvoir monétaire lorsqu’il traduit la volonté politique démocratique ?  

[1] Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,Cchercheuse au Centre d’économie et de la Sorbonne & Conseillère scientifique à l’Institut Veblen (France). Mail : jezabel.couppey@univ-paris1.fr

[2] Sociologue de la monnaie, Cadre dans le secteur financier, Chercheur associé à Etopia (Belgique). Mail : pierre.delandre.g.g@gmail.com

1 réflexion sur « La «monnaie volontaire», un outil pour restaurer le bien commun. »

  1. Tout cela tombe sous le sens, le bon sens. Le sens du bien commun à tous les êtres vivants qui peuplent cette planète exsangue. Mais comment voulez vous que cela puisse advenir tant que les responsables capitalistes de cette destruction massive de toutes les formes de vie sont aux commandes ? Ils font ecrire par leurs sbires politiques les constitutions, et par là même les lois, qu’ils devraient craindre. Ils contrôlent donc la création monétaire et ont verrouillé tout le système pseudo démocratique afin de garder la maîtrise totale sur les peuples lobotomisés médiatiquement et culturellement et asservis par la dette et le consumerisme le plus crasse.
    Il faudra bien plus je le crains que de bonnes idées économiques afin de déboulonner ces sociopathes egoistes dotés de l’intelligence du mal.. l’espoir fait vivre. Bonne chance et surtout bon courage à tous.
    Merci pour l’effort.
    Salutations

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